
Dès le lendemain de l’indépendance de ces deux nations (respectivement en 1818 et 1816) et tout au long du 19ème siècle, ce ne furent que tensions, menaces, risques d’intervention militaire. La signature, en 1881, d’un traité offrait un compromis fragile à peu près satisfaisant pour les deux pays. La cordillère des Andes servit de frontière naturelle sur près de 3 500 km, mais ni le Chili, ni l’Argentine n’obtinrent l’accès souhaité aux deux océans. On a établi un tracé à grand coup de sabre, sans se soucier des détails. Et à l’échelle de l’Amérique, un détail équivaut à des territoires immenses, grands comme des départements en Europe.
Au Chili, le Pacifique, à l’Argentine, l’Atlantique. Grosso-modo, on trancha ainsi. Et entre les deux, à la pointe extrême de l’Amérique du Sud, ce que Coloane appelle « la queue du continent », un partage territorial qui coupe la Terre de Feu en deux morceaux juxtaposés. Plusieurs erreurs géographiques et diplomatiques furent commises dans ce long et laborieux partage de terres sud-américaines, et dans le tracé des frontières, ce qui inspira à Don José Miguel Yrrazaval un livre très critique, paru en 1930.
A quarante kilomètres plus au sud de Futaleufú, la région de Palena était encore disputée en 1965 par les chiliens et les argentins, sous l’arbitrage de la Grande-Bretagne. Du temps de la dictature de Pinochet, les deux pays étaient sur le pied de guerre. Il fallut faire appel au pape Jean-Paul II qui servit de médiateur « symbolique » entre Santiago et Buenos Aires. Au Chili, la moindre histoire des frontières représente un livre d’au moins cent pages !
De nos jours, le passage d’un pays à l’autre demande du temps et peut être souvent fastidieux. Tout le long de la Cordillère des Andes, les points de passage sont multiples. Il y a bien sûr tous les postes importants basés sur les grands axes, mais il existe surtout tous les petits postes douaniers très pittoresques, perdus au somment d’un col, au bout d’une piste, comme sortis de nulle part.
Côté Chilien, le grand défit du Général Pinochet fut de construire, la Carretera Austral (« la route australe »), une route caillouteuse qui traverse en zigzag la Patagonie chilienne sur près de 1200 km du nord au sud et pour ainsi pouvoir cheminer comme un oiseau migrateur vers le bout du monde, sans devoir passer par l’Argentine. Ces travaux colossaux coutèrent la vie à beaucoup d’ouvriers (il suffit de regarder une carte de la Patagonie chilienne et de tous ses fjords).
Sur la carte routière de la Patagonie, la bourgade de Villa O’Higgins est représentée par un petit point posé sur les rives d’un lac, au bout d’un trait mince comme un fil, un interminable pointillé figurant la Carretera Austral. C’est net. Le chemin ne va pas plus loin. A l’est, les terres chiliennes bordent la frontière de l’Argentine. Au sud, le lac Villa O’Higgins se termine au pied d’une masse glaciaire immense et blanche, avec des reflets bleus : le « Campo de Hielo Sur ». Ce ne sont pas quelques glaçons que l’on met dans un verre à l’heure de l’apéritif, mais bel et bien un territoire congelé, aussi grand que trois départements français. Une autre planète, froide et inhospitalière, longue d’environ 300 kilomètres du nord au sud.
En contemplant cette barrière infranchissable, du moins en apparence, serrée entre la Cordillère des Andes et l’océan Pacifique, découpée en une multitude de fjords et d’îlots. Tout cela ressemble bien à un cul-de-sac, le passage par l’Argentine semble être l’unique solution pour poursuivre plus au sud.
A moins que…