Dans le Nord de la Patagonie, les drapeaux mapuche sont un peu partout, rappelant un peu aux locaux et aux voyageurs la présence d’un peuple originaire. Je me rappelle alors souvent du rêve « fou » qu’avait Antoine de Tounens, cela me fait sourire et me remplit de nostalgie. J’imagine que, comme tous les hommes qui ont cherché une terre d’Exil, il a dû être marqué à vie par l’énergie sauvage qui règne sous ces latitudes et par ces hommes qui y habitaient.

Je vous présente Antoine de Tounens, qui, en novembre 1860, est proclamé sous le nom d’Orélie-Antoine 1er, Roi d’Araucanie et de Patagonie, des territoires situés au Sud du Chili et de l’Argentine ! Et en plus, cocorico oblige, cet homme était Français.
Un fils d’agriculteur devenu avoué
Antoine de Tounens est un Français, originaire du Périgord, et plus précisément du village de Chourgnac, issu d’une famille composée de neuf frères et sœurs. Il est né Antoine Tounens, en 1825, et a toujours insisté pour que l’on lui rétablisse sa particule « De ». En effet, celle-ci avait disparu alors qu’elle était bien présente chez les générations antérieurs. Et à force d’obstination, il obtiendra gain de cause.
Il fut assez vite reconnu comme un symbole de réussite par sa famille, qui va d’ailleurs très tôt s’investir pour sa réussite. Antoine obtiendra son Bac (qui à l’époque était un signe d’une grande distinction) et fera des études de droit. Il deviendra Avoué (juriste) et aura son propre bureau à Périgueux.
Ce fils d’agriculteur deviendra donc « Homme de loi ». Mais cela ne lui suffira pas… Il va également évoluer proche de la « franc-maçonnerie », en contact avec des utopistes et sera influencé par les idées des lumières françaises, par la philosophie en général…
L’un des courants de l’époque étant de libérer l’Amérique Latine de la puissance Espagnol, en créant pourquoi pas de nouvelles républiques, ou des monarchies modérées, voire des sociétés idéales, Antoine va alors vendre son cabinet et disparaître soudainement…
Vers le Chili pour de nouvelles aventures
Il y avait à l’époque ce grand rêve d’aventure, qui fût sûrement le moteur d’Antoine pour ce voyage au Chili. Parti d’Angleterre, c’est en août 1858 qu’Antoine débarqua à Coquimbo, petit village côtier au Nord du Chili, en limite du désert d’Atacama. D’ailleurs, l’unique hôtel de ce « pueblo » s’appelait « Hôtel de France ».

Antoine de Tounens restera à Coquimbo quelques mois, période durant laquelle il apprendra l’Espagnol. Il rentrera en contact aussi avec de grandes familles Chiliennes de l’époque, ce qui lui a permis de monter différentes affaires, mais finalement rien ne marchera vraiment, il perdra même beaucoup d’argent car on sait qu’il ne lui restera plus grand chose des économies venant de la vente de son cabinet d’avoué.
N’ayant plus d’argent, Antoine pensa même un instant revenir en France, mais il recevra sûrement une aide financière de la part de son frère aîné ou de l’un de ses meilleurs amis. C’est alors que son regard se porta sur l’Araucanie et on ne sait toujours pas à ce jour exactement pourquoi. L’Araucanie, la Patagonie, le cône andin, va alors vite l’attraper.
Le Chili et le peuple Mapuche
À ce moment là, le Chili est indépendant depuis une quarantaine d’années (tout comme l’Argentine d’ailleurs). Les frontières au Nord du Chili sont floues, il y a le désert d’Atacama et au-delà c’est le Pérou. Par contre, au Sud la frontière est bien précise : le fleuve Biobío, c’est la seule vraie frontière reconnue officiellement par le vice-roi d’Espagne, qui sépare le peuple libre Amérindien, les Mapuche, guerriers qui ont vaincus les Incas et les conquistadors, qui sont indépendants de fait, depuis plus de trois siècles. Les créoles et les blancs ont peurs de ces Mapuche. Tout le monde en a peur depuis la nuit des temps…
Bien entendu, le Chili aimerait agrandir son territoire vers le Sud, et s’emparer de ces territoires. Mais les tribus Mapuche, très divisées, résistent, armées de lances et de bolas face au Chiliens pourtant armés de fusils et d’armes à feu. Les chefs Mapuche qui, en ce temps-là étaient appelés « Toqui » (le titre comme chef militaire), ont un vieux chef nommé Mañil. Le vieux Mañil, conscient du danger des Chiliens au Nord, cherche des alliés. Il va justement recevoir une lettre d’Antoine de Tounens, qui a un plan à lui proposer, quelle coïncidence ! Et de ce fait il sera spontanément invité en Araucanie.

Il faut savoir que dans la culture Mapuche, les rêves sont importants, ils ne sont pas coupés de la réalité, et peuvent même transmettre un message ! Ce message peut donc devenir bien réel. Le chef Mañil fait justement un rêve, où il voit revenir un ancien chef de guerre Mapuche, mais sous l’apparence d’un grand homme blanc, longue chevelure bouclée, avec une barbe noire. Il consulte le conseil des femmes savantes, les « Machis », qui sont d’accord avec le fait qu’il faut attendre l’arrivée de ce « Roi » qui les aidera.
Les règles de la culture Mapuche
C’est en octobre/novembre 1860, qu’aura lieu l’événement qui va changer la vie d’Antoine. Alors qu’il est en route pour rencontrer le vieux chef Mañil, celui qui avait rêvé et prédit le retour d’un roi qui viendrait aider son peuple, est mort de vieillesse.
Antoine parvient à s’introduire dans les camps sacrés au même moment qu’arrivent de nombreuses communautés Mapuche, provenant de toute la cordillère des Andes pour choisir le successeur de Mañil. En effet, dans la culture Mapuche personne ne peut s’autoproclamer chef, c’est la communauté qui décide. Et pour être choisi il faut avoir des valeurs fortes en soi.
Antoine va devoir alors passer des épreuves qui sont traditionnelles dans la culture Mapuche, épreuves de force, de sagesse, de sérénité durant des semaines et des semaines. L’initiation commence par une grande capacité d’écoute, apprendre les histoires, apprendre les chants guerriers, en participant à la vie locale… Etc. Durant des jours et des jours, des nuits et des nuits…
Il faut maîtriser le « Nehuen », qui est la force du guerrier, le « Kimun », qui est le savoir, sagesse, respect. Antoine est quelqu’un de brillant, charismatique, obstiné et surtout respectueux. Toutes ces qualités joueront en sa faveur. Ensuite ce sont les femmes, les « Machis » qui sont un peu les chamans et qui valident si le candidat est bien celui de la prophétie.
Une nouvelle Monarchie voit le jour
Antoine de Tounens, fort de sa formation de juriste, va proposer aux Mapuches et au fils aîné de Mañil, Quilapán, de s’organiser, de consolider leur indépendance, de s’unir en une seule tribu sous la forme d’un état, avec une véritable constitution, ainsi obtenir la possibilité de demander une protection diplomatique à un pays européen, et va s’offrir comme Roi de cet état.
Ainsi les Chiliens et Argentins ne pourront plus avancer en territoire Mapuche. Voici donc le plan qu’avait proposé par écrit Antoine à Mañil, maintenant expliqué à Quilapán. C’est bien Antoine qui a été vers le peuple Mapuche et jamais Antoine n’a demandé que les Mapuche s’habillent différemment ou délaissent leur langue ou leur culture, bien au contraire. Quilapán était le plus grand guerrier Mapuche, qui avait la réputation d’avoir la haine des blancs et des voleurs de terres, appelé les « Huincas ». Aussi fou que cela puisse paraître, Quilapán n’aura pourtant écouté qu’un seul homme, blanc de peau : Antoine de Tounens.

Une Monarchie constitutionnelle et héréditaire est fondée en Araucanie le 17 novembre 1860, et Antoine de Tounens en est le Roi. Pourquoi une Monarchie et pas une république ? Certainement parce-que les Mapuche étaient bien plus « conformes » à la manière dont la Monarchie Espagnole les avaient traités par rapport à la République Chilienne.
Ambassadeur des Mapuches
La nouvelle arrivera assez vite au gouvernement Chilien et en Europe, c’est la stupeur ! Un fils d’agriculteur devenu avoué puis Monarque. Un provinciale en plus…
L’armée Chilienne met tout en œuvre pour attaquer le Royaume d’Araucanie, car les Chiliens sont alors inquiets d’une possibilité de reconnaissance de ce territoire par la France. Antoine sera trahi et capturé en 1862 et va passer neuf mois en cachot. Il est alors brisé dans son élan mais surtout son état physique et psychologique va décliner. Les Chiliens pensaient (et souhaitaient) qu’Antoine allait mourir dans ce cachot, mais il y survivra.
Il refusera l’assistance d’un avocat et voudra se défendre seul. Le juge de l’époque, juge Matus, ne savant plus comment faire, décidera de colporter la nouvelle qu’Antoine de Tounens était devenu fou. Sous la pression diplomatique, les Chiliens sont obligés de libérer Antoine. Mais Antoine refuse de sortir à moins de démontrer qu’il est bien sain d’esprit. Antoine est alors expulsé vers la France, car les Chiliens ne pouvaient plus supporter de cet homme-là, décidément bien trop intelligent et trop cultivé. Il sera alors reçu comme une « star » dans son Périgord natal.
Durant de nombreuses années, Antoine de Tounens veut faire reconnaître sa royauté, la faire reconnaître comme une sorte de « colonie française » avec de gros atouts géographiques. Malgré de nombreuses lettres envoyées aux députés, sénateurs, et autres responsables politique de l’époque, il ne sera jamais vraiment pris au sérieux et sera bien souvent considéré comme un farfelu, comme un personnage pittoresque.
En 1869 il repartira en Amérique du Sud, débarqua à Buenos Aires, traversera la Pampa, remonta des fleuves, gravira la cordillère des Andes, avec l’armée Argentine a ces trousses… L’ordre est formel : arrêter ou tuer le roi « fou », le roi des sauvages, des barbares, des indiens ! Il sera reçu en vrai sauveur par tout le peuple Mapuche et se défendront fasse à l’envahisseur Chilien et Argentin, derrière une bannière bleu blanc vert. Ils se bâteront durant de longs mois, de longues années. Antoine fera, durant toute cette longue période, quelques aller-retour entre l’Europe et l’Amérique du Sud pour, entre autres, obtenir des chevaux et des fusils pour son armée…
La fin du Roi
En 1878 Antoine a vieilli, il tombe de cheval, il est malade et sera envoyé à l’hôpital Français de Buenos Aires, puis en France, à Bordeaux. Le Roi d’Araucanie est battu. Il mourra le 17 septembre 1878 à l’âge de 53 ans.
Le Roi est mort mais l’histoire de son royaume ne s’arrête pas pour autant. En effet, il existait un testament secret, envers Achile Laviarde, rencontré dans les cercles d’artistes Parisien, un homme prêt à reprendre le flambeau. Antoine de Tounens l’a désigné comme son héritier et successeur au Trône d’Araucanie et de Patagonie.
Le 26 mars 1882, Achille Laviarde fait signer un acte de renonciation à l’héritier naturel, Adrien de Tounens (frère d’Antoine), boucher à Tourtoirac, en France, qui restera prétendant au trône d’Araucanie jusqu’à sa mort, en 1902. L’actuel prétendant au trône d’Araucanie et de Patagonie se nomme Philippe Pichon, sous le nom de Prince Philippe III, et ce depuis 2024.
Aujourd’hui, les démons du passé refont surface au Chili, le peuple Mapuche continue à se battre pour pouvoir vivre libre sur ses terres. Il faut savoir que le Sud du Chili et de l’Argentine est exploité par des compagnies économiques Européennes et Anglo-saxonnes. Le peuple Mapuche se rebelle depuis plusieurs années. Les différents chefs continuent à appeler à une certaine autonomie, voire à l’indépendance.
Plusieurs des chefs actuels de ce mouvement autonomiste Mapuche sont les descendants directs des chefs de guerre qui avaient choisi Antoine de Tounens.

Antoine de Tounens repose au cimetière de Tourtoirac, en plein Périgord. Sur sa tombe figure un graffiti, en dialecte Amérindien de la cordillère des Andes, qui veut dire : « 10 fois nous vaincrons ».
Comme un cri de guerre des guerriers Mapuche, un vrai hommage au Roi d’Araucanie et de Patagonie, Antoine de Tounens, Orllie-Antoine 1er, dont le rêve était de créer un royaume au sud de l’Amérique du Sud, où les Amérindiens pourraient vivre librement…